Editorial n° 7 du site maternage : De la maternologie à l'instinct maternel...
De la maternologie à l'instinct maternel...
Une relecture de l'allaitement vu à la télévision française cette fin d'année 2003.
Le 23 octobre, France 2 a diffusé dans son émission "Envoyé spécial" un reportage sur un service hospitalier unique en son genre : l'unité de maternologie de l'hôpital Charcot.
Dans ce service où l'on traite les "accidents de maternité", une dizaine de femmes sont prises en charge de quelques jours à plusieurs mois. Elle viennent là de leur plein gré car leur rendez-vous avec le bébé s'est mal passé, plus ou moins vite après sa naissance. Comme près d'une maman sur dix, elles ressentent douleur, frustrations et difficultés à exercer leur nouveau rôle avec ce bébé.
Le décryptage des difficultés, différentes pour chaque mère, est
fait par une équipe pluridisciplinaire en visionnant un enregistrement
vidéo. Au départ, 13 ans en arrière, toutes les interactions
mères-enfants été filmées, mais ils se sont vite aperçu que les
séquences de nourrissage à elles seules, révélaient toutes les clés...
En effet, selon Jean-Marie Delassus, le chef de ce service,
l'allaitement -qu'il soit au sein ou au biberon, peu importe le lait-
est "le moment le plus révélateur du lien mère-enfant en étant
révélateur de la capacité du don, don au sens profond : se donner l'un
à l'autre"...
Or quel don plus grand, plus essentiel, plus charnel,
plus proximal et plus entier que le don de son lait, fabriqué par son
corps, donné directement de son sein à la bouche de son enfant ?...
Allez,
faites un effort, essayez de vous souvenir -ou d'imaginer, selon que
vous ayez été allaité ou non- ce que cela vous évoque de téter le sein
de votre mère...
Evidemment, dans le sujet présenté, les mères
biberonnent toutes... Et si l'allaitement avait pu préexister à
l'entrée du service de maternologie, il y serait mis à mal puisqu'ici
les mères et les enfants sont obligatoirement séparés durant la nuit ;
le bébé étant pris en charge par une infirmière qui le nourrit au
biberon, pendant que sa mère récupère en dormant à l'aide de pillules.
Pourtant, le bébé est programmé pour vouloir sa mère. Son instinct à lui, la réclame. Il la veut pour se nourrir parce que c'est le meilleur moyen qu'a trouvé la Nature pour ne pas séparer ces deux-là. Totalement inachevé à sa naissance et encore de longs mois durant, le bébé a besoin de sa mère tout autant pour son lait que pour ses bras, son regard, son balancement, sa chaleur, sa protection, son soutien pour un développement psycho-moteur et une structuration mentale et psychique optimaux.
Mais le bébé veut aussi sa mère pour la construire. En l'obligeant à être disponible pour lui, à son écoute permanente, cherchant à interpréter ses signaux que l'on sait très structurés, à répondre à ses besoins, à maintenir la symbiose commencée pendant la grossesse grâce au lien physiologique et psychique puissant qu'est celui de l'allaitement au sein ; l'enfant "fait" sa mère. Quand il ressent (parfaitement bien) qu'elle va mal, il se manifeste comme il peut pour "forcer la relation" afin de guérir sa mère.
Finalement, dans cette unité de maternologie on cherche à guérir la
mère séparément de son bébé à l'aide de médicaments et d'entretiens
quotidiens avec des thérapeutes, tout en mettant à distance son premier
et meilleur thérapeute qu'est son bébé. N'est-ce pas lui qui a révélé
le problème à l'entourage et à sa mère, par son comportement et ses
somatisations ?
Or , les entretiens thérapeutiques des mamans
révèlent toujours des difficultés qui viennent de l'enfance, de leur
passé de petite fille, de leurs relations avec leurs parents... Toutes
ces mères qui craquent n'auraient-elles pas elle-mêmes subi dans leur
petite enfance un maternage bancal, favorisé par l'absence
d'allaitement au sein, la mise à distance corporelle et psychique,
l'ignorance des besoins et des pleurs, les séparations précoces
prolongées d'avec leur propre mère...
En brisant la permanence du
lien qui l'unit naturellement à son enfant, on empêche ce dernier de
guérir sa mère, et c'est bien dommage. Accompagner la relation
mère-enfant est nécessaire mais freiner son accomplissement est
dommageable. Dommageable pour elle, qui devra pourtant tenir encore
longtemps son rôle, amputée dans ses capacités maternelles. Dommageable
pour lui, qui doit se séparer d'elle. Ce faisant, n'est-on pas aussi en
train de décaler le problème à la génération suivante ?
En décembre, sur le plateau de l'émission Psychologies sur France 5,
Boris Cyrulnik nous dit que l'instinct maternel ne veut plus dire grand
chose pour les êtres humains. Qu'à peine né nous réfléchissons, nous
construisons de la pensée, nous devenons humains en baignant dans la
culture. Mais plus loin, il dit aussi que c'est différent lorsque des
hormones sont en jeu.
Or l'allaitement met la mère dans un état
hormonal particulier, fait d'ocytocine, l'hormone du plaisir, et de
prolactine, hormone apaisante. Pour illustrer le sujet, une jeune maman
aux formes et à la poitrine généreuses (Image de la mère, quand tu nous
tiens !) révèle son bonheur d'être devenue mère pour la première fois.
Et bien sûr, elle allaite son bébé, mais aussi elle l'endort au sein,
elle le porte, elle dort près de lui...
Jean-Marie Delassus, quand à lui -dans le sujet sur la maternologie-, refuse que l'on parle d'instinct maternel. Ce mot dangereux coincerait les mères dans une identité anormale (si l'instinct existe, pourquoi est-ce-que je ne ressens pas d'élan pour ce bébé ?) et les priverait d'espoir (on ne peut soigner le défaut d'instinct).
Michel Odent nous dit lui, qu'en se privant du cocktail d'hormones naturellement en jeu lors d'une maternité naturelle (durant la grossesse, la naissance et l'allaitement) on se prive de ce que la nature a développé tout au long des millénaires pour nous permettre d'assurer la saine reproduction de l'espèce.
Alors, va-t-on continuer encore longtemps à ignorer que l'instinct maternel est directement lié à la présence des hormones physiologiques mises en jeu lors d'une maternité naturelle ? Cela a été vérifié chez toutes sortes de mammifères, y compris chez nos cousins les grands singes, mais on persiste à nier que cela puisse compter pour l'espèce humaine.
Pour devenir mère, c'est comme pour tout autre apprentissage, il faut "s'y coller" ! La nature a tout prévu, laissons-là faire.
Cessons
d'interférer sans cesse, à toutes les occasions, à tous les niveaux.
Cessons d'agir sur le climat hormonal des femmes en les stressant
inutilement durant leur grossesse avec des examens à tout moment qui
s'ajoutent aux manques d'humanité et de temps. Cessons d'agir sur le
climat hormonal des parturientes en substituant aux hormones naturelles
de l'accouchement des hormones de synthèse et des analgésiques. Cessons
de priver les mères du climat hormonal particulier de la femme
allaitante, qui favorise tellement le maternage. Cessons d'accuser les
mères qui maternent d'être trop fusionnelles. Cessons de séparer les
mères de leurs enfants et les enfants de leurs mères.
Et n'oublions pas que si nos arrières-grands-mères et nos grands-mères n'ont pas eu de plaisir à être mères, ce qui nous a amenés au féminisme à la française ; c'est parce qu'on a cassé leurs élans, en les culpabilisant sans cesse de suivre leur instinct maternel ; maintenir le bébé dans un état d'hygiène parfait, "régler" l'enfant, le maîtriser, prévalaient alors. Retrouvons la joie de materner en s'y laissant aller, la joie d'être dans le don de soi, pour l'épanouissement des mères, des pères et de leurs enfants.
Emmanuelle Blin-Sallustro, janvier 2004