Editorial n° 9 du site maternage : Porter son enfant en écharpe... ou la petite histoire d'une grande histoire à vivre avec son
Porter son enfant en écharpe... ou la petite histoire d'une grande histoire à vivre avec son bébé...
Au commencement, les jours qui suivent la naissance, on fait
connaissance dans son lit avec son bébé nouveau-né en le posant sur sa
poitrine, puis, rentrée à la maison, on l'emballe dans une écharpe de
tissu en coton naturel, tissée tout spécialement, souple et douce pour
la peau et on porte continuellement son petit très souvent endormi,
blotti tout contre sa poitrine.
La relation entamée pendant la
grossesse se prolonge alors avec bonheur et plaisir. La maman ne
ressent pas la souffrance du "ventre vide" car bébé est toujours là. Au
lieu d'être dans le ventre, il est dessus, juste un peu plus haut, tout
près du coeur. A portée de caresses, de bisous et sous le regard
bienveillant de son porteur. Déjà habitué au poids de l'enfant à terme,
le dos des mamans en profite pour se remettre en place et se remuscler
grâce au portage dès la naissance d'un bébé dont le poids augmentera
progressivement. Pour la mère, c'est -paradoxalement- quand bébé est le
plus proche, qu'il se révèle le moins pesant, physiquement, et
psychiquement. La mise en route de l'allaitement est quant à elle
facilitée par les tétées fréquentes et prises à la demande qu'il
autorise, ce qui ne limite pas pour autant les bienfaits du portage aux
bébés allaités !
Pour l'enfant, le plaisir c'est d'être bercé par les mouvements et les sons. D'être dans le rythme de la vie. L'immobilité et le silence, c'est le néant, la mort, pour un bébé qui n'a jamais connu cela. Les balancements de la marche et de tous les mouvements du porteur, ainsi que les bruits et les paroles de son environnement, c'est la vie qui continue, naturellement, grâce au portage intensif.
Ce plaisir partagé par les deux protagonistes, le porté et le porteur, favorise l'attachement. Physiquement, c'est évident puisqu'ils sont tous les deux "emballés " ensemble, corps contre corps, peau contre peau, sans paroi de séparation. Psychologiquement, cela en découle de façon indéniable, et le lien d'attachement élaboré à l'intérieur du corps maternel peut se tisser solidement à l'extérieur, maille par maille... grâce au tissu.
Puis, les jours passant, on comprend combien la vie quotidienne est facilitée par le portage intensif de son bébé en écharpe.
Les
déplacements sont simplifiés, on voyage léger. En ville, bébé se
ballade à hauteur d'homme. Tenu à distance des pots d'échappement, il
observe les voitures de haut, évitant ainsi bien d'autres dangers...
Papa ou maman peuvent prendre les escaliers sans avoir besoin d'aide,
monter dans le bus ou encore entrer dans des espaces bondés, sans être
encombrés par une poussette (format 4 x 4 breaks maintenant !) ni géner
des occupants souvent déjà bien assez stressés.
Lorsqu'elle n'est
pas utilisée pour porter, l'écharpe se transforme en couverture, en
hamac, en "attache bébé sur n'importe qu'elle chaise", en pare-vent, en
matelas pour le lange à l'extérieur...
On s'aperçoit au quotidien que le portage permet à chacun de vivre à son rythme, sans contrainte. Bébé se repose, observe, participe, dort, au gré de ses besoins. Lorsqu'il est fatigué il s'endort simplement rassuré par la présence humaine permanente. Le porteur aussi peut aller, venir, entrer, sortir, discuter, faire ses courses, téléphoner, travailler, oeuvrer dans sa maison... Tout cela sans jamais devoir suspendre ses activités pour prendre le temps d'endormir son bébé, ou de le rendormir pour la xième fois. Quand il "se réveille" dans un demi sommeil pour vérifier si rien n'a changé depuis qu'il s'est assoupi, il se rendort facilement puisque les conditions sont semblables. Et quand il a fini de dormir, il n'a pas besoin de crier pour appeler, ni de verser de larmes si l'on tarde à venir, puisque son porteur est encore là, qui, déjà lui dit "bonjour" et lui procure sourires et caresses !
Si d'aventure la famille compte plusieurs autres membres, l'écharpe
devient vite irremplaçable car les besoins du bébé peuvent tous être
facilement comblés sans faire de lui le "voleur de maman" de ses frères
et soeurs... La vie continue, comme avant, avec un membre de plus dans
la famille, qui partage la vie commune sans la perturber. Les ainés les
plus grands découvrent eux aussi le plaisir de porter. Ils éprouvent en
effet de la joie à s'occuper de leur petit(e) frère(soeur) et à tenir
un instant, "pour de vrai", leur futur rôle de parent, tout en
apportant un relai à leur maman.
Les parents porteurs, qu'il
soient père ou mère, peuvent accompagner un aîné à l'école ou au club
de sport sans avoir à réveiller bébé. Ils peuvent avoir toutes sortes
d'activités : relationnelles, domestiques, professionnelles ; bref, ils
peuvent vivre leur vie sans se sentir esclaves de leur enfant, ni
désirer le mettre à distance et le faire garder.
Au contact permanent des autres, bébé s'éveille vite. De plus en
plus souvent réveillé, il observe son environnement, apprend les gestes
et les comportements de sa culture, baigne dans le langage et connaît
de fréquents moments d'échanges relationnels.
Lisez ce texte inédit sur le site sur "Portage, langage et développement cognitif"
Dans
la rue les personnes qui abordent la mère s'adressent toujours au bébé
porté et celles qui le croisent le regardent au moins toujours...
L'enfant existe dans la communauté des humains. Il se tient debout,
face aux autres, à hauteur de regard et communique ! On observera
fréquemment qu'une situation vécue dans le stress par bébé lorsqu'il
est au sol ne l'est plus dans les bras de son porteur (comme le passage
de l'aspirateur ou la rencontre d'inconnus...).
Et quand il le
souhaite, fatigué par toutes ces stimulations, il se retire du monde en
se lovant contre le corps de son porteur où il peut s'abandonner,
rassuré, dans le sommeil.
Puis bébé atteint ses 9 mois et termine sa vie de "sans-cesse"
porté. Sa gestation se termine réellement après cette deuxième partie,
menée ex-utéro, lorsqu'il devient capable de se déplacer par lui-même.
Il en a d'ailleurs très envie. Quel joie de pouvoir enfin explorer son
univers et aller saisir toutes ces choses que l'on a vu manipulées
depuis des mois par les autres !
Le bambin alterne alors les
périodes de jeu et de déplacement au sol avec les moments passés à
table et dans le bain, et les temps de portage qui répondent alors de
plus en plus souvent à son besoin de se reposer ou de dormir.
Les
ballades se font toujours en écharpe mais sur le dos, c'est si pratique
! On peut porter des paniers ou des cartons en conservant sa liberté de
mouvement et sa force intactes. Avec l'habitude, le bambin est installé
sur le dos en 1 minute où il ne pèse rien, tant le poids est bien
réparti par le nouage du tissu, malgré ses 9 à10 kilos...
Les grands primates ont des poils pour que leurs bébés s'accrochent. Chez l'homme, des lanières et des pans de tissu ont remplacé sur l'ensemble de la planète les poils de nos ancêtres. Il semblerait même que le porte-bébé ait été le premier outil inventé par l'homme (plutôt par la femme alors !). Partout les mères portent et fabriquent leurs porte-bébé avec les moyens du bord. Pagne africain de coton, rebozo mexicain, porte-bébé en cuir ou en filet en afrique, en tissu en asie et en orient...
En occident industrialisé, les femmes se remettent à porter mais la
plupart des porte-bébés commercialisés massivement ne sont
malheureusement pas de bons modèles. Mal conçus, ils sont peu
confortables pour l'enfant qui est en mauvaise position, suspendu par
ses parties génitales, les jambes pendantes et le dos cambré. Ils sont
aussi peu confortables pour le porteur qui doit faire des réglages et
finit par trouver bébé lourd pour son dos dès 3 à 4 mois (je le sais,
j'ai utilisé les kangourous pour mes deux ainées). Enfin, en plaçant
une séparation entre le bébé et le corps du porteur, ils empêchent les
échanges thermiques naturels. On doit donc vêtir l'enfant d'une
combinaison pilote par temps froid, ce qui l'éloigne encore plus du
corps de son porteur et le rend par conséquent plus lourd et plus
difficile à porter longtemps.
En écharpe, pas besoin d'habiller bébé
pour sortir -ce qui ne manquerait pas de le réveiller ; c'est le
porteur qui se couvre d'un manteau à larges pans, d'une cape, d'un
blouson ample ou de tout autre vêtement qui protège l'enfant en même
temps que lui-même. Dans certains pays comme la Finlande ou le Japon,
des manteaux adaptés permettant de porter son enfant devant sur le
ventre, et derrière, sur le dos, sont vendus dans les grandes surfaces
de puériculture et sur catalogue... En France on trouve vêtements et
écharpes sur internet.
Peut-être devrions nous simplement nous souvenir que notre espèce appartient à l'ordre des primates. Ce qui fait de nous des porteurs et non des nidicoles. Nos petits sont censés rester au contact d'une mère qui répond majoritairement et constamment à tous leurs besoins -nourriture, chaleur, éveil, sécurité- tant qu'ils ne sont pas autonomes dans leur déplacement. Ils ne sont pas censés être disposés dans de jolis petits nids brodés et décorés de milles choses, attendant d'être nourris, sur le plan physiologique mais aussi sur le plan psychique, à intervalles réguliers...
Si le portage a effectivement permis l'émergence du langage à la préhistoire en prolongeant et en intensifiant la période de développement cérébral du nourrisson, on devrait peut-être s'interroger sur les conséquences sur notre évolution du maternage distal que reçoivent aujourd'hui le plus fréquemment la grande majorité des bébés occidentaux...
Emmanuelle Blin-Sallustro, mai 2004